lundi 24 août 2009

LE XX°S CHAPITRE 46 : BODY ART ET PERFORMANCE

CHAPITRE 46. BODY ART ET PERFORMANCE
Jacques ROUVEYROL

I. PERFORMANCE ET MINIMALISME


Le Minimalisme, faisant abstraction de l’artiste se tournait vers les objets du monde les plus abstraits (industriels, standardisés, géométriques).

Par un retour mainte fois observé, des artistes vont se détourner du monde, des objets pour revenir non véritablement au sujet mais à un objet particulier difficilement séparable du sujet : le corps.

Ce sera le Body Art et la Performance.

Le corps n’est ni un objet ni le sujet ; c’est ce que la phénoménologie (Husserl, Merleau-Ponty, Sartre) nomment l’être-au-monde du sujet. Quelque chose de fondamentalement ambigu.

Ce par quoi il y a pour nous « du monde ».

Dès lors, nous ne quittons pas le contemporain. Le démarche reste la même mais au lieu de se demander : quels sont les éléments objectifs (toile, châssis, etc.) de l’art (Support/Surface) ? Quels sont les éléments spirituels (concepts, grilles modulaires, etc.) de l’art (Minimalisme, Art Conceptuel) on s’interroge sur le troisième et dernier terme : quel est l’outil ultime (ni pinceau, ni ciseau, etc.) de l’art (le corps) ?

A. LA PERFORMANCE MINIMALE

A l’origine, aux USA, fin des années 60, les performances sont minimalistes, évacuant autant que possible toute subjectivité.

Ainsi des performances filmées de Bruce Nauman (1941 - ...)



(Violin Tuned D.E.A.D. 1968) ci-dessus ou Walking in an Exaggerated Manner Around the Perimeter of a Square, ci-dessous. (Télécharger Violin ; télécharger Walking)


ou de Dan Graham (1942 - ...) (Correlated Rotations 1969), ou de Vito Acconci (1940 - ...) (Proximity Piece 1970). Ce qui importe ici encore, c’est un processus. La performance est un processus. On définit par avance un protocole et on se borne à son exécution. Exemple : Walking in an Exaggerated Manner Around the PeriMeter of a Square.

- Elément : un carré dessiné à la craie sur sol.
- Processus : suivre en marchant de « façon exagérée » le carré, pendant un temps donné.

C’est du minimalisme (plus que du conceptuel puisque les circonstances extérieures peuvent influencer le déroulement du processus : Following Piece ou Proximity Piece de Acconci).

On nommait d’ailleurs ces artistes : minimal performers.

Le corps comme « outil » de l’artiste mais aussi le corps comme œuvre. Gilbert & George se définissent comme des sculptures vivantes. Ci-dessous : Singin’g Sculptures 1973.


On se souvient de ce que les Nouveaux Réalistes avaient considéré que le seul véritable objet de l'art était la vie. Est-ce dans cette optique-là que Gilbert and George se considèrent ? Pas exactement. Le déchet que récupère Tinguely, l'affiche déchirée de Villeglé, les reliefs de repas qui constituent les tableaux-pièges de Spoerri définissent la "vie" par sa banalité-même. Ce n'est pas cela pour Gilbert and George. A l'inverse, ils définissent la vie par cela-même qui en exclut toute banalité : l'art. Ce n'est donc pas à l'art d'imiter ou de mettre la vie en scène, mais à la vie d'imiter, de mettre en scène l'art. Non pas une statue à la ressemblance du corps, mais un corps (ou deux) à la ressemblance de la statue. C'est cela la sculpture vivante.


Il n’en reste pas moins que c’est dans le processus (la performance) que réside l’œuvre d’art : ici «chanter » (télécharger).
Là, réaliser apparemment des gestes de la vie quotidienne (comme marcher dans la rue) : The secret files of Gilbert and George (télécharger):



Mais marcher (sans doute est-ce un paradoxe) "comme des statues".


B. LE RETOUR DU SUJET

1. L’engagement politique.

Joseph Beuys (1921 – 1986) décrit son travail comme la réalisation d’une sculpture sociale.
Dans Action Coyote , I Like America and America Likes Me 1974 (télécharger).


Beuys arrive à New York en ambulance = l’homme est blessé ou malade. Il est enveloppé d’un rouleau de feutre = comme en 1943 quand, abattu avec son avion il est recueilli par les Tartares = pour se soigner. Enfermé trois jours avec un coyote = réconciliation de l’homme avec la nature.



2. Provocation et métaphysique.

Oleg KULIK (1961 - …) est un artiste russe. Chez lui, le corps est ramené à son animalité. Promené en laisse dans la rue ou attaché à une chaîne dans le local où a lieu la performance, il aboie, il mord. Oleg est un chien.
Une interrogation sur l’animalité présente et refoulée dans l’humanité.



Ci-dessous Dog House 1996 (télécharger)




II. L’EXPLORATION DU CORPS

1. Que puis-faire avec un pinceau ? Un marteau et un ciseau ? Que puis-je faire avec mon corps?

Le corps est un lieu. Le lieu du plaisir et (plutôt que « ou ») de la douleur. Le performer va prendre son corps comme lieu d’expérience, le plus souvent, une expérience des limites.

a. C’est, par exemple, Shoot (1971)  Chris Burden (1946 - …) (télécharger).


L’artiste se fait tirer une balle dans le bras par un de ses amis.



Ou alors, ce sera ramper sur un tapis de 15 mètres de verre brisé dans Through the Night Softly 1973 (télécharger).


Ou bien, Trans-Fixed 1974, il est cloué au toit de la voiture du peuple. Le moteur rugissant deux minutes exprime la douleur du crucifié.




Ou encore, être enfermé 5 jours dans un casier de consigne comme dans Five Day Locker Pièce 1971. Ou bien, être fixé au sol par des bracelets de cuivre près de deux seaux d’eau alimentées en 110 ou 220 volts. Si un visiteur renverse l’un des seaux, c’est l’électrocution et la mort possible. Ou, comme dans Sculpture in Three Parts (1974) : “I will sit on this chair from 10.30 am 9/10/1974 until I fall off” (“Je dois rester assis sur une chaise du 09/10/1974, 10h30 jusqu’à ce que je tombe »). Il tombe, en effet, au bout de 43 heures, on trace à la craie le contour de son corps, il écrit au centre le mot « Éternellement ». Ou alors, Bed Piece 1972, Rester couché 22 jours sans manger ni communiquer. Ou enfin, respirer l’eau d’un lavabo jusqu’à s’évanouir, ce qui a lieu au bout de 5 minutes (Velvet Water 1974).

b. A Performance, Gina PANE (1935 – 1990) préfère le terme Action.

Là encore, c’est à une expérience de la douleur, principalement, et des limites, que l’artiste se consacre.
Par exemple , Death control (1974): »recouverte d’asticots, je vivais un temps posthume et frappais le sol avec mes poings ». Dans Discours mou et mat (1975), avec une lame de rasoir elle s’incise la langue, le sang coule droit sur la lèvre inférieure et le menton, et sur la main gauche elle s’est tatoué les étoiles du drapeau américain. Ensuite, agenouillée elle se penche puis se couche sur une planche de bois blanc, il y a aussi deux gants de boxe, sur le panneau de bois, du verre brisé, du verre coupant. Gina Pane maintenant appuie à plat sa joue et son visage sur les éclats, les enfoncçant dans sa peau.



Dans Escalade non anesthésiée (1971), elle gravit, mains et pieds nus, une échelle aux marches coupantes. Dans Psychè (1974), elle s'entaille la peau des sourcils, par petites touches, jusqu'à faire couler des larmes de sang sur ses yeux, qu'elle couvre ensuite d'un bandeau blanc. Sous l'étoffe apparaissent alors deux taches rouges. Puis elle se taille la peau en croix autour du nombril.
Dans Nourriture-Actualités TV-Feu (1971), elle mange pendant une heure et quart 600 grammes de viande hachée de la veille en regardant les actualités télévisées dans une position volontairement inconfortable et en étouffant de ses pieds un feu.
Dans Azione sentimentale (1973), vêtue de blanc et portant dans ses mains un bouquet de roses rouges, Gina Pane retire peu à peu des fleurs les épines pour se les introduire dans le bras. Ensuite, elle les retire mais laisse un léger filet de sang s’écouler le long de son poignet. Là, le bouquet de roses rouges est remplacé par un bouquet de roses blanches. Son dernier geste est alors de s’inciser la paume avec un rasoir.

Dans une nouvelle, La Colonie Pénitentiaire, Kafka imagine une machine qui grave dans la peau (puis dans le corps) du condamné la loi qui a été transgressée.

S’agit-il ici de la même chose ?

A l’inverse, c’est plutôt l’automutilation (le simulacre d’automutilation, plus exactement, car l’artiste qui a très soigneusement préparé sa performance en maîtrise parfaitement l’exécution et ne met jamais sa vie en danger) qui apparaît comme une transgression. Et du coup comme une provocation. On se coupe. On se saigne . On s’intoxique. On porte atteinte à son intégrité physique. Toutes choses insupportables, spécialement aujourd’hui où est venu le temps du « principe de précaution ». Les jeux de cour d'école (jeu du foulard, jeu de la tomate, petit pont massacreur, mort subite, etc.) encore que très sensiblement moins maîtrisés et donc réellement dangereux sont une réalité du même ordre.

On aurait tort d’ailleurs de réduire la performance (dès lors qu’elle n’est plus simplement minimaliste à la Nauman ou à la Graham) à un simple processus. Certes, celui-ci est là, il est même central puisqu’on a affaire à une « action », mais ils y a d’autres dimensions à prendre en compte.
-- Une dimension Esthétique : Le sang est une couleur : rouge. On peut peindre avec son corps (sang). Voir, plus loin, Orlan.
-- Une dimension Mystique : La crucifixion (Burden), les « stigmates » (Pane, les épines de rose), il y a en somme comme une expérience du martyre.
-- Une dimension Historique : Le corps, au moins autant que l’esprit, est soumis à des codes. Nu, sur les stades de la Grèce antique (nudité apparente d’un corps modelé), il est caché par le christianisme et l’islam. Plus ou moins selon les époques. Ce qu’il renferme (entrailles mais aussi urine, excréments, fluides génitaux, sang, sang menstruel, etc.) a vocation à demeurer caché.
Peinture et sculpture ont rendu ce corps « policé » jusque dans le nu, vêtement classique de la nudité. La performance opère une libération du corps et de ses contenus. Elle réalise son ex-position.


c. Puisque le nu est un vêtement, le vêtement est aussi un nu. S’il cache le corps il le révèle aussi bien.

Une grande partie du travail de Michel JOURNIAC (1935 – 1995) porte précisément sur le vêtement (qui cache) et le travestissement (qui, au contraire révèle). C’est 24 heures de la vie d'une femme ordinaire 1974, ou Hommage à Freud - Constat critique d'une mythologie travestie 1972 œuvre dans laquelle il réalise quatre portraits dans lesquels il se travestit en ses propres parents. C’est aussi, en 1972, la série des Pièges pour un travesti, ou il est tour à tour Arletty et Rita Hayworth.


Dans La Vierge Mère (1982-1983), travesti en Marie, il mime l’accouchement d’un enfant.


Dans Messe pour un corps Michel Journiac travesti en prêtre, dans une célèbre galerie parisienne, dit une messe en latin. À la fin de la messe, le prêtre Journiac propose pour l'eucharistie une hostie particulière, faite de boudin cuisiné avec son propre sang.
Sacrilège ? Non, partage. Il n’est pas besoin de « se prendre » pour un dieu pour « fonder » une « église » c’est-à-dire une communion (une mise en commun).

d. Le corps n’est plus, de nos jours, un simple appareil physiologique. Il trouve partout des prolongements :

-L’automobile augmente sa puissance motrice,
-Le téléphone accroît la portée de sa parole,
-Les armes développent son pouvoir mortifère,
-Les prothèses, les greffes de toutes sortes viennent au secours de toutes ses défaillances.

-En même temps, ce corps marié à la technologie perd de sa consistance, se désincarne.

C’est ce corps-là que STELARC (1946 - …) entend explorer.

-- Les Suspensions (ou la désincarnation du corps).
Stelarc débute avec des Suspensions. Nu, la peau percée de crochets, le voici suspendu, comme par exemple dans Assis balancé Évènement pour pierres sus-pendues 1980.



-- Les Prothèses : 


Exosqueleton 2003 (ci-dessus) (télécharger) est une machine dotée de six jambes et fonctionne à l’aide d’un système de pneumatiques. Elle peut avancer, reculer, se déplacer sur les côtés et tourner sur elle-même. Elle peut également s’accroupir ou se relever en écartant ou en contractant ses jambes. Une forme humaine mais augmentée de nouvelles fonctions.



Walking Head (2006) est un robot interactif de six jambes et de 2 mètres de diamètre doté de capteurs ultra-sons pouvant détecter la présence de personnes lui faisant face. Le robot exécute alors une chorégraphie pendant plusieurs minutes. Ici, le corps de l’artiste a complètement disparu.
Third Hand (2005) est une main artificielle, attachée au bras droit comme un complément plutôt que comme une prothèse, qui est capable d’un mouvement autonome activé par les signaux EMG (électromyogrammatiques) des abdominaux et des muscles des jambes.

-- Les Greffes.
Ear on arm (2009) est une greffe de peau simulant, sur le bras, une oreille. Complétée électroniquement, cette oreille devait devenir un écouteur connecté par Bluetooth. Stelarc devait pouvoir parler à distance à une personne par l’intermédiaire de cette oreille externe et devait pouvoir également entendre son interlocuteur dans sa propre bouche.



Le corps est devenu l’objet et l’un des mediums de l’art contemporain. Avec Stelarc, le corps lui-même est mis en cause comme une réalité obsolète.
Le corps tel qu’on l’a connu, tel qu’on l’a vécu est dépassé.

III. L’ACTIONNISME VIENNOIS

Dans les années 60, à Vienne, se développe un courant « iconoclaste » et provocateur. Ni peinture ni sculpture, mais le corps comme outil et support de l’œuvre d’art.

Et l’œuvre construite à partir de la mise en branle des deux pulsions théorisées par Freud, un autre viennois : Eros la pulsion sexuelle et Thanatos la pulsion de mort.
Selon Freud, la seconde ne s’exprime jamais à l’état pur, mais toujours mêlée à la première, sous la forme du sadisme.

Quatre artistes représentent ce mouvement : -Günter BRUS (1938 - ...) -Otto MÜLHER (1925 - ...) -Rudolf SCHWARTZKOGLER (1940 – 1969) -Hermann NITSCH (1938 - ...)

Rudolf SCHWARTZKOGLER (1940 – 1969)

Un mythe veut qu’il soit mort dans une performance où il se serait tranché le pénis. En réalité, il se suicide en 1969 en effectuant le « saut dans le vide » prétendument réalisé par Yves Klein. La thématique est clairement celle de l’automutilation voire de l’autocastration dans ses différentes Aktions. Aktion - Rituel de Castration 1965 est assez explicite jusque dans son titre.


Qu’il y ait dans ces « Aktions » quelque chose en rapport avec un complexe de culpabilité (l’Autriche a largement participé à l’aventure nazie) à l’origine de ces fantasmes d’automutilation, c’est ce que semble montrer, aussi, le thème récurrent du sacrifice (évoqué par exemple par celui de la Crucifixion, comme dans Aktion, Incubate Festival d’Hermann Nitsch,
 Télécharger Part 1 ; Part 2 ; Part 3
.

Sans doute y a-t-il aussi quelque chose d’une référence à la Passion du Christ non seulement dans ces crucifixions, mais aussi dans ces Aktions où une « victime » subit un traitement « dégradant » de la part d’un « bourreau », comme dans Kardinal Aktion de Otto Mülh (ou Muehl) en 1967 (télécharger) ou le visage d’un homme est progressivement recouvert de substances diverses qui sont comme autant de crachats ou de soufflets ou encore d’insultes jetés au visage du Christ au début de sa Passion. Avec cette différence qu’il y a dans la performance de Mülh une recherche sur la couleur et la succession des couleurs de la substance susdite.



Du sang, des tripes et une action en forme de rituel. De rituel sacrificiel. voilà donc ce qui caractérise d’abord ces Aktions. Par exemple : Günter Brus, Selbstbemalung Selbstverstümmelung (télécharger) :


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Du point de vue strict (non psychologique et non sociologique) de l’Histoire de l’Art, il est clair que l’Actionnisme viennois est à ranger du côté de l’Expressionnisme allemand.

1. Le corps torturé est à l’opposé du corps héroïque (néoclassique ou nazi).
2. Le corps est devenu le moyen d’expression des angoisses et des terreurs que l’expressionnisme faisait apparaître dans une peinture elle-même torturée.


3. Les références bibliques sont comparables. Crucifixion, de Nischt dans son Aktion de 1970 (ci-dessus) et Descente de Croix de Max Beckmann (1917).

Avec l’Actionnisme viennois, on réintroduit donc dans l’art la dimension subjective que l’art contemporain (minimaliste, conceptuel) avait abandonnée.

*

Elle n’a rien à faire avec l’Actionnisme Viennois, mais tout à faire avec la performance comprise comme rituel. C'est Marina ABRAMOVIC (1946 - …).

Une série de Rythm (Rythm 5, Ryhm 10 http://www.youtube.com/watch?v=7cfvtfPWZ-8 ) consistent en ceci :
Rythme 5 1974 : se coucher au centre d’une étoile en flammes (le centre seul, naturellement, n’est pas enflammé ce qui n’empêche pas les brûlures dues à la proximité des flammes).
Rythme 10 1973 : Matériel : 10 couteaux. Deux magnétophones. Le premier enregistre la première série de coups de couteaux (série composée de l’usage des 10 couteaux, dans Rythm 10) entre les doigts écartés de la main. Puis on repasse la bande en même temps que le second enregistre une deuxième série de coups de couteaux plus le son du premier passage.


Du rituel encore dans The Lips of Thomas (1973). Elle avale d’abord un kilogramme de miel et un litre de vin rouge. Elle dessine ensuite sur son ventre au moyen d’une lame de rasoir une étoile à cinq branches. Puis elle se fouette jusqu'à ce qu'elle ne puisse plus sentir la douleur. Enfin, elle se couche sur une croix faite de glace.

Pendant 12 ans (1976 – 1988) , elle explore avec Ulay les relations symbiose/séparation.
C’est Relation pace en 1976. Leurs deux corps nus lancés dans des directions opposées se croisent, se frôlent, se percutent de plus en plus vite et de plus en plus violemment pendant une heure. En 1977 c’est Breathing in- Breathing out chacun, jusqu’à épuisement des réserves d’oxygène (19 minutes) inhale le contenu des poumons de l’autre. La même année c’est encore Relation in time. Les deux artistes adossés sont liés l’un à l’autre par leur chevelure. Peu à peu les cheveux se dénouent. Le temps de la symbiose se termine toujours ; vient celui de la séparation.


Voici encore Balkan Baroque (1997). L'installation se compose de trois écrans visuels, un triptyque à l'image des icônes religieuses. Sur deux écrans apparaissent les parents de Marina Abramovic. Sur l'écran central, on voit l'image de l'artiste habillée en scientifique expliquant l'histoire de la création des "rats -loups" dans les Balkans, des créatures qui dans certaines conditions se détruisent entre elles. Dans la salle 1500 ossements d'animaux sont amoncelés. Autour trois grandes bassines de cuivre remplies d'eau savonneuse (pour la purification). Plusieurs heures chaque jour, l’artiste vêtue de blanc assise au sommet de la pile d'os frotte les os avec le désinfectant, et les nettoie de leurs résidus de chair.



On voit qu’on est loin de l’Actionnisme. Les préoccupations sont différentes. Il y a une expérience du corps qui n’est pas expressionniste. C’est davantage une recherche des contours : où s’arrête mon corps et où commence celui de l’autre (ponctualité de la symbiose) ? et des limites : jusqu’où puis-je supporter la douleur ?
Mais la performance est souvent « confondue » avec un rituel qui peut aller jusqu’à la crucifixion. C’est cet aspect seulement qui justifie le rapprochement avec l’Actionnisme.



IV. BODY ART

Performances, actions et body art ne sont guère séparables puisque le corps est au centre. Toutefois, la performance et l’action consistent en un processus.

Si on prend « body art » au sens de sculpture corporelle, il faut alors, semble-t-il, distinguer d’autres pratiques consistant en des modifications de l’apparence corporelle.

Il faut à présent considérer le body art en ce sens restreint, autant qu’il est possible.

1. Orlan (1947 - ...)

a. D’abord, les performances (actives) comme Corps Mesurage 1964. Orlan prend son propre corps (allongé)pour étalon et mesure ainsi, couchée sur le sol, des espaces urbains. Ou bien, elle effectue le plus lentement possible le trajet ordinaire des stéphanois entre la Place Dorian et l’Hôtel de Ville, comme dans Marche au ralenti Saint-Etienne 1964

b. Ensuite, les performances (passives) comme Tableau vivant, la Grande Odalisque (1968). Comme chez Michel Journiac, il s’agit ici de révéler le corps à travers les masques apportés par la culture (l’histoire de l’art). C’est encore le cas dans Tableau vivant, Le Drapé Baroque 1974-1984. Ci-dessous un de ces drapés. L’image n’est pas sans évoquer la Sainte Thérèse du Bernin
.

c. Les opérations-performances

Notre apparence corporelle est le résultat de deux facteurs auxquels Orlan précisément refuse de se soumettre :

Un facteur naturel qui résulte du hasard et de la nécessité,

Un facteur culturel qui est la mode (qui propose un modèle pour le corps),

La chirurgie esthétique vise en général à modifier le naturel pour l’ajuster au culturel,

Les performances chirurgicales d’Orlan visent certes à refuser le naturel mais aussi à refuser le culturel. On doit pouvoir choisir son propre corps et jusqu’à sa propre identité. Ci-dessous : Quatrième Opération Performance (1991).



Déjà, en 1964 : le refus du naturel avec Orlan accouche d'elle-même (d'elle m'aime) où l’artiste nue tient entre ses cuisses la partie supérieure d’un mannequin. Et, en 1965, Tentative pour sortir du cadre avec masque n°3, 81 x 76 cm constitue un refus du culturel : on voit Orlan, nue encore, sortir d’un cadre de tableau

.

La performance chirurgicale se donne comme une œuvre d’art « totale ». Ces opérations sont des performances complexes : tout est sous contrôle.
L’opération est mise en scène filmée et photographiée. Les costumes des médecins sont le fait de grands couturiers. Le décor est défini par l’artiste. Orlan, pendant l’opération, lit des textes et dialogue, via satellite, avec les spectateurs.
Avec son sang, Orlan dessine. Avec des échantillons de chair elle réalise des reliquaires. Avec des transferts photographiques sur gaze médicale imbibée de sang, elle réalise des suaires. Enfin, l’opération donne lieu par la suite à une installation (par exemple : Omniprésence, Installation (41 diptyque en métal installées sur un mur de 16 m 1993). Des photographies s’alignent en haut des panneaux montrant jour après jour la convalescence tandis qu’en bas des mêmes panneaux des transformations virtuelles du visage (morphing) trouvent place.

d. Mais on a vu, avec Stelarc, que le corps contemporain n’avait plus la consistance du corps d’autrefois. Greffé, prothétisé, etc. Il s’est en outre avec l’informatique déréalisé, virtualisé. C’est donc au corps virtuel qu’Orlan finit par s’attacher. Ci-dessous : Self-hybridation 1998




Orlan transforme alors son visage à partir de références culturelles diverses : africaine (dans la série des Hybridations africaines 2000) ou précolombienne.

2. La mise en scène du (des) corps est une autre manifestation du Body Art.

a. Cindy SHERMAN (1954 - ...) .
Sans hybridation, mais au moyen de transformations elle constitue une galerie de stéréotypes sociaux et culturels, de personnages construits, qui interrogent l'identité, notamment féminine, et les représentations et fantasmes qu'elle véhicule.
Ce sont les Untitled Film Stills des années 77 – 80 puis puis les Rear Screen Projections de 80 – 81 (en couleur). Ci-dessous : une photo extraite de Untitled film Still n°35 1979.



Les Hollywood Hampton Types 2000-2002, photographies de Cindy en actrices marginales ou vieillies à la recherche d’un engagement. Les Portraits historiques dans lesquels l’artiste recompose à partir de reproductions et non des originaux, des tableaux de maîtres de toutes les époques. La non-fidélité à l’ »original » est parfaitement assumée. Le décalage entre l’image et le souvenir que nous pouvons avoir du tableau de référence nous fait prendre conscience de la prégnance des codes (qui passerait inaperçue en cas de fidélité rigoureuse à l’original) auxquels notre perception et notre appréciation sont soumises.

Elle en vient à remplacer (ou à combiner) son corps par celui de poupées mannequins.
Ce sont les Sex-Pictures de 1992, mannequins sexués masculins ou féminins

Ce sont les Horror and Surrealist Pictures 1994-1996, mannequins démembrés, disloqués.

Le mannequin, la poupée, sexués, morcelés ont remplacé le corps « propre » ou plutôt le métaphorisent.

Le serial killer est devenu, dans la littérature policière, le cinéma, l’imaginaire contemporain un objet d’horreur mais aussi de fascination. Il y a de la performance dans son modus operandi, une volonté de mise en scène, une signature, un appel à la reconnaissance.

La différence avec l’artiste réside « seulement » en ceci que ce dernier travaille dans la métaphore et non dans la réalité.

Ceci nous enseigne que le Body Art met en œuvre des fantasmes. Les fantasmes les plus archaïques liés au corps. Ceux que Mélanie Klein (psychanalyste de la première enfance) met en évidence : Fantasmes d’agression, de destruction, de démembrement du corps de la Mère ( du « sein ») par le nourrisson dans les tous premiers mois de son existence (Voir par exemple Melanie Klein Essais de Psychanalyse, Payot ou Envie et Gratitude et autres Essais Tel. Gallimard).

b. Vanessa BEECROFT (1969 - …) met en scène le corps, à son tour, mais :

1.Celui des autres,
2.Sous forme d’installation plus que de performance,
3.Dans un registre qui est celui du minimalisme.




Par exemple : VB 35 1998.
A rapprocher de Spencer TUNIK ou d’Iris BROSH.

Le Body Art, la Performance constituent une dimension importante de l’art contemporain depuis les années 70.

Minimaliste (Nauman, Graham, Aconcci) ou expressionniste (les Actionnistes Viennois) ou encore expérimental (Pane, Journiac, Stelarc, Orlan, Sherman), ce mode d’expression met au centre du processus artistique le corps.

Ce corps qui fut l’objet privilégié de la peinture et de la sculpture classique se retourne sur lui-même pour s’interroger sur ses capacités de production artistique, ses limites de résistance au plaisir et à la douleur, ses aptitudes à la déformation ou à la transformation (sa plasticité), sur sa réalité même à l’heure où les nouvelles technologies (prothèse, greffe) comme autrefois à un moindre degré le vêtement le réduisent au rôle de support voire, depuis l’apparition du numérique, le virtualisent. Ce corps ainsi interrogé n’est pas seulement un assemblage de membres, c’est un ensemble chaotique de fantasmes liés aux deux pulsions fondamentales que sont les pulsions sexuelles et la pulsion de mort. De là, souvent, l’apparente « morbidité » des productions de Body Art.

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